Dans une interview exclusive qu’il a accordée à votre quotidien d’informations générales et d’investigation, le président de l’Association pour le Développement et la Sensibilisation des Guinéens Migrants au Maroc, Ibrahima Kabassan Sampou a dénoncé les difficultés auxquelles ses concitoyens sont confrontés dans le royaume chérifien. Au cours de l’entretien nous avons également abordé la situation des ressortissants guinéens voulant regagner l’Europe via le Maroc…
Des ressortissants guinéens seraient arrêtés, certains auraient été rappariés par les autorités Marocaines…Qu’en est-il ?
« Effectivement, il y’a eu des arrestations des migrants dans les villes frontalières du Maroc, à Tanger et à Nador précisément. Parmi ces migrants, il y a de nombreux Guinéens. Ceux qui sont arrêtés à Tanger, la semaine dernière, huit Guinéens ont été déportés hier en Guinée. Ceux qui sont arrêtés à Nador, dans la même semaine, selon plusieurs sources, sont à l’aéroport au moment où nous parlons. Parmi eux il y’a une vingtaine de Guinéens ».
Est-ce que vous avez été saisis de ces différents cas ?
« Oui, bien évidemment, mais par les migrants pour les apporter notre soutien. Quant aux autorités, elles ne nous contactent pas ».
Quelle a été votre démarche auprès des autorités compétentes pour satisfaire les sollicitations de vos concitoyens ?
« Par rapport à ces arrestations, une fois elles sont faites, les autorités marocaines appellent les ambassades des pays subsahariens pour venir identifier leurs ressortissants. Nous, défenseurs de droits humains, notre démarche c’est d’aller à la préfecture de police de la ville concernée pour les mettre la pression et nous saisissons le Conseil régional des droits de l’homme pour un appui. Ce que je peux signaler, les ambassades sont au-dessus des associations communautaires en termes de défense de ses ressortissants. Quand l’Ambassade facilite la procédure pour les autorités marocaines pour déporter ses ressortissants nous serons automatiquement affaiblis. Surtout ces déportations se font en absence des médias ».
Vous voulez dire que ces arrestations suivies de rapatriements des ressortissants guinéens, l’ambassade de Guinée au Maroc est au courant et qu’elle serait même complice dans la procédure ?
« Oui, bien évidemment ! L’Ambassade de Guinée a donné son accord depuis en octobre, quand les autorités marocaines ont fait une réunion, invitant toutes les ambassades des pays subsahariens pour leur dire qu’elles doivent rapatrier 1500 migrants dans les pays d’origine. L’Ambassade de Guinée, dans son accord, fait le laisser passer pour faciliter le rapatriement ».
Ces ressortissants guinéens sont en transit pour regagner l’Europe où ils vivent au Maroc ?
« Ces ressortissants sont en transit pour regagner l’Europe. Mais ce qui fait mal, c’est que les autorités marocaines et notre ambassade violent les droits des migrants. Parmi ces ressortissants il y en a qui sont munis de leur passeport et d’autres sont en situation légale au Maroc ».
Selon nos informations, les démarches des autorités marocaines visent à lutter contre l’immigration illégale. A ce niveau, quel doit être votre apport quand on sait qu’à chaque traversée de la mer, les migrants risquent leur vie ?
« Je ne m’inscris pas dans cette logique qui dit que les autorités marocaines luttent contre l’immigration clandestine. Plutôt, les pays font de l’immigration clandestine un business de grande dimension. Si les autorités marocaines veulent l’arrêter à leur niveau, elles peuvent le faire sans aucun problème. La lutte contre l’immigration clandestine doit se faire tout d’abord à la base, au niveau des pays d’origine.
Notre apport, c’est d’accompagner le Maroc pour réussir sa politique d’intégration des migrants dans sa société, effectuer des campagnes de sensibilisation auprès des migrants et aider les migrants à s’intégrer au sein de la société marocaine pour ceux qui le souhaitent Mais aujourd’hui, les migrants subsahariens n’ont plus confiance à la politique d’intégration du Maroc, parce que toutes les promesses que cette politique a émises n’ont pas été tenues ».
Quelles sont ces promesses qui n’ont pas été tenues, selon vous ?
« En septembre 2013, la nouvelle politique migratoire a été mise en place par l’initiative de sa Majesté le Roi Mohamed VI, que Dieu l’assiste. Cette politique d’immigration et d’asile visait la régularisation de la situation administrative de tous les étrangers vivant sur son sol – l’accès à la santé(RAMED) ; l’accès à l’éducation ; l’accès à l’emploi et sous au contrat de travail ; le mieux vivre ensemble entre marocain et les migrants Etc…
Cette politique a permis la régularisation des milliers d’étrangers sur le sol marocain, il faut le reconnaître. Côté santé, il y a eu une petite amélioration et une petite amélioration au niveau de l’éducation. Le reste, rien n’a marché. Le pire est que les milliers de régularisés de cette politique se retrouvent aujourd’hui en situation irrégulière parce que les autorités refusent de renouveler leurs titres de séjour. Côté emploi, l’employeur marocain préfère employer un sans papier que d’employer un régularisé, parce qu’il a le droit de lui porter plainte quand il y’a un problème. À la mise en place de cette politique d’immigration et d’asile en automne 2013, le Maroc passait du statut de pays de transit à un pays d’accueil mais aujourd’hui cette politique fait le contraire. Nous nous posons des questions autour de cette politique migratoire ».
Qu’est-ce que votre structure fait dans ce sens pour défendre les droits de vos concitoyens ?
« Au Maroc, la plupart des migrants travaillent dans le noir, dans les chantiers en construction, le ménage dans les villas ou le gardiennage. Notre structure intervient entre l’employeur et nos compatriotes quand il y’a un problème par exemple quand l’employeur confisque le document de notre compatriote (passeport, carte séjour) ou s’il refuse de payer son argent ».
Quels sont vos rapports avec l’ambassade de Guinée au Maroc ?
« Nos rapports rapport consistent uniquement à faciliter l’obtention de la carte consulaire, la préparation de procuration pour les cas de décès. Dans l’ensemble, nous avons de sérieux problèmes avec l’ambassade de Guinée au Maroc. Toutes les organisations communautaires guinéennes, tous les ressortissants guinéens y compris les étudiants, tout le monde se plaint de notre ambassade. L’accès aux documents qu’elle doit livrer à ses ressortissants n’est pas du tout facile. Aujourd’hui, elle se permet de diviser la communauté guinéenne résidente au Maroc ».
Quel appel avez-vous à l’endroit de Conakry par rapport à la situation des Guinéens du Maroc ?
« Tout d’abord, l’initiative du ministère des affaires étrangères pour la mise en place des sections des Guinéens de l’étranger qui, a priori, a été mise en place au Maroc, nous souhaitons travailler en étroite collaboration avec le ministère de tutelle pour faire une sensibilisation depuis à la base.
L’Ambassade de Guinée au Maroc est éloignée de ses ressortissants. Le Maroc étant un pays stratégique et complexe pour les autorités et les ressortissants guinéens, nous souhaitons que le gouvernement guinéen nous donne un ambassadeur plus social et plus proche de ses ressortissants ».
Entretien réalisé par Thierno Oumar Diawara, journaliste – PDG groupe Sud Média Guinée