Eldorado des mines depuis près de cinquante ans, grâce aux ressources minières exceptionnelles de son sous-sol – principalement bauxite, fer, diamant et or -la Guinée n’a pas encore réussi à transformer ce potentiel minier en richesses pour sa population. Au contraire.
La Guinée végète au plus bas des indicateurs de développement humain (IDH 2017 191/196), tandis que les sociétés étrangères, notamment chinoises, semblent bénéficier du soutien de cadres de l’administration acquis à leur cause par la corruption et s’affranchissent ainsi de la législation du pays, au détriment des droits des travailleurs et des populations riveraines.
La croissance la plus remarquable, depuis cinq ans, est celle de la production de la bauxite, le minerais à l’origine de l’aluminium utilisé dans l’industrie aéronautique, l’automobile, le bâtiment, la construction électrique, l’industrie alimentaire ainsi que les équipements domestiques. La Guinée tire profit de la demande chinoise, première consommatrice au monde. Elle est devenue le premier producteur mondial de bauxite, avec 28 millions de tonnes par an, devant la Jamaïque, l’Indonésie et l’Australie. La société minière de Boké, dans le sud-ouest du pays, fait partie de ces privilégiées du pouvoir. Elle a obtenu ses permis, d’exploration d’abord puis d’exploitation, dans des conditions exceptionnelles, grâce à la bienveillance gouvernementale. Selon plusieurs sources concordantes, M. Kassory Fofana, ministre d’Etat chargé des Investissements et des Partenariats public privé, semblerait en être le principal facilitateur.
En Basse Guinée, la SMB a rapidement devancé la compagnie des bauxites de Guinée(CBG) et la compagnie des bauxites de Kindia (CBK). En effet, la SMB n’exploite que la bauxite brute et transporte sa production vers les ports modernes en camions, alors que les autres sociétés utilisent encore la voie ferrée et des installations portuaires plus ou moins efficaces.
La SMB SA est une société de droit guinéen formée par un consortium composé de trois sociétés privées ainsi que de l’Etat guinéen. Elle est enregistrée au cadastre minier sous le N : A2015 001/DIGM/CPDM et le permis de recherche A2015/018/MMG/SGG) numéro d’Identifiant Fiscal 021425V. Elle a un permis d’exploitation obtenu Le 7 juillet 2015 sous le numero (D2015/135/PRG/SGG).
Elle a obtenu son permis d’exploitation le 7 juillet 2015 pour une concession d’une superficie de 305 kilomètres carrés et une durée de quinze ans renouvelables. Le 20 juillet 2015, le consortium guinéo-chinois a commencé la production commerciale de bauxite. Dès cette première année, la SMB SA a pu exporter 5 millions de tonnes (410 000 tonnes par mois) selon les données publiées dans le rapport ITIE 2015. La production devait atteindre 10 millions de tonnes par an à partir de mi-2016 et 100 millions de tonnes à la longue.
Devenu SMB -WAP en 2016, après la modification de l’actionnariat, le consortium vend sa production principalement aux producteurs d’aluminium des marchés asiatiques à en croire le site internet de la société.
Depuis le 20 octobre 2016, à en croire le site web de la société, le capital se répartit entre 2 sociétés chinoises (Winning Logistics Africa Company Limited (40,5%) et Shandong Weiqiao Aluminium and Electricity (22,5%) et une société guinéenne,United Mining Supply (UMS, 27%).
L’Etat guinéen est représenté par 10% seulement de participation gratuite sur les 15% prévus par le code minier.
La rapidité de l’obtention du permis d’exploitation et, en amont, du permis d’exploration ; pourrait résulter d’un traitement de faveur de la SMB et de son promoteur, proche du fils du Président Alpha Condé, Fadi Wazni. Ce dernier est un homme d’affaire franco-libanais qui évolue depuis une décennie dans la logistique et le transport à travers sa société United Mining Supply (UMS).
Dans le passé, M. Fadi Wazni avait déjà remporté le marché de transport de produits pétroliers et chimiques pour la société minière de Dinguiraye, active dans l’exploitation de l’or dans les préfectures de Siguiri et Dinguiraye, en Haute-Guinée. M.Fadi Wazni serait également l’un des principaux promoteurs du projet de bauxite porté par la société Alliance Mining Commodites (AMC) dans la préfecture de Gaoual, au nord-ouest de Conakry et mis en berne par la suite, après le décollage de la SMB.
De ce fait M. Fadi Wazni aurait des intérêts à faire valoir dans Alliance Mining Commodities (AMC), la Société Minière de Boké ; United Mining Supply (UMS) et United Transport Supply (UTS qui gère plusieurs stations services ).
La Société Minière de Boké opère sur la base du seul permis d’exploitation signé par le Président de la République le 7 juillet 2015. Aucune convention minière n’a été rendue publique.
Dans le rapport ITIE 2015, publié en mars 2017, l’entreprise a déclaré avoir effectué des paiements de 31 416 122 GNF, chiffre très proche de celui déclaré reçu par l’Etat : 31 541 256 GNF.1 Cet argent représente la somme des redevances et taxes payées à l’Etat central. Le montant versé à l’Etat central est une contribution au budget national versé aux régies financières de l’Etat, notamment à la banque centrale et au trésor public. Elle a également déclaré avoir versé un montant de 879 051 GNF aux collectivités locales impactées par les activités de la SMB. Cette somme représente les redevances locales et la contribution volontaire au développement communautaire. Ce montant est supposé être investi pour impulser un développement des zones impactées.
Traitements de faveur et dérogations en cascade pour une entreprise VIP
Plusieurs éléments troublants sont à relever dans le processus d’octroi des permis en faveur de la SMB.
Le permis d’exploitation a été accordé le 19 janvier 2015, alors que le cadastre minier guinéen était en phase de toilettage et de modernisation, donc fermé. En principe, aucun octroi de titre minier n’était donc possible. Plusieurs cadres du ministère des Mines expliquent sous couvert d’anonymat que ce permis a été signé dans la précipitation sur pression de la Présidence de la République. D’ailleurs, le permis est inscrit au registre des titres ouvert à cet effet à la division informations géologiques et minières au centre de promotion et de développement minier (CPDM), au lieu d’être inscrit au cadastre minier.
On peut relever aussi le court délai (moins d’un an) entre la délivrance du permis de recherches minières, supposé être suivi de travaux techniques et géologiques, et celle du permis d’exploitation. Le permis de recherche couvrait trois ans renouvelables et une superficie de 305 km2 dans la région de Boké. Or, cinq mois plus tard seulement, le 18 juin 2015, la SMB a introduit une demande de permis d’exploitation semi industrielle.
Selon nos informations, Il semblerait que le service de la Présidence aurait excédé la demande de la SMB, qui aurait initialement sollicité un permis d’exploitation semi-industrielle, et qui se verra finalement octroyer un permis d’exploitation industrielle, sur la base d’une étude de faisabilité de juin 2015 qui n’a pas été rendue publique3.
Le très court délai entre le dépôt de la demande de permis d’exploitation, le 18 juin 2015 et l’obtention du permis, le 7 juillet 2015, trois semaines plus tard.
La SMB a été affranchie de l’obligation prévue par le code minier en son article 37 alinéa 5 qui conditionne le démarrage de toute activité d’extraction à la réalisation d’une étude d’impacts social et environnemental assortie d’un plan de gestion sociale et environnementale validés par les services compétents notamment le Bureau Guinéen d’études et évaluation environnementale BGEEE. Cette dernière n’a été réalisée qu’après coup, un an après le démarrage du projet.
Reflet de cette particulière attention présidentielle, il a été observé que le Président Alpha Condé a souvent rehaussé de sa présence les activités de la SMB. Il était ainsi présent pour le départ de la première barge transportant la bauxite depuis le port de Katougouma, le 20 juillet 2015, et pour l’inauguration du port de Dapilon, le 9 janvier 2018.
Les autorités guinéennes se refusent de communiquer sur les dérives de la SMB (voir plus bas). Elles vont même jusqu’à interdire l’accès des installations de la SMB aux acteurs de la société civile et aux journalistes, selon plusieurs témoignages recueillis par les auteurs de cette enquête.
Pour y accéder il faut une autorisation de la société ou de la Présidence de la République. Un important dispositif de sécurité est déployé sur place pour contrôler les accès du site.
À cet égard, une mission de députés guinéens de la commission environnement a fait les frais de cette opacité le 18 juillet 2016, refoulée par les agents de sécurité à l’entrée de la SMB à Katougouma. Les services de sécurité en faction ainsi que les relations communautaires de la SMB ont confirmé avoir reçu l’ordre des ministres de l’administration du territoire, des mines et du partenariat public privé « de ne recevoir aucune autorité ici sans un ordre de mission signée de la présidence. »
Mouvements sociaux à répétition
Les 228 travailleurs (dont 175 nationaux) employés par la SMB, selon le rapport ITIE 2015, se plaignent régulièrement de mauvaises conditions de vie et de travail. A ce jour la société revendique un environ 5000 emplois directs et indirects.
A peine trois mois après le début de l’exploitation, on enregistre le premier débrayage, le 23 Octobre 2015, sur le site de Katougouma. Tôt le matin, les grévistes barrent, sans faire usage de violence, la route qui mène à la mine. Ils demandent la réintégration de 4 travailleurs victimes, selon eux, de licenciements abusifs ; l’élaboration d’un règlement intérieur ; la prise en charge médicale et l’augmentation des salaires et primes. Ils se plaignent de l’absence d’équipement de sécurité et de protection. Ils réclament également l’arrêt de la discrimination salariale entre les travailleurs guinéens et les expatriés chinois, se disant nettement moins payés que leurs collègues chinois.
Une nouvelle grève a lieu en mars 2016, soutenue par les populations riveraines qui, elles, se disent« déçues de la, cohabitation avec la Société qu’elle accuse d’être à la base des dégâts causés à leur environnement. (voir ci-contre)
Les ouvriers réclament, quant à eux, une augmentation équitable de leurs salaires puisque les salaires varient entre les trois entreprises du consortium.
Ces demandes n’ont pas été satisfaites puisqu’en juin 2017, les ouvriers d’UMS ont à nouveau réclamé une augmentation de salaire à la même hauteur que ceux des salariés de SMB-WAP (le consortium qui conduit désormais les opérations sur le terrain).
Entre juillet 2015 et mars 2016, soit en seulement huit mois, les travailleurs de Katougouma ont fait grève à 24 reprises.
Avec Cenozo (Journalisme d’Investigation en Afrique de l’Ouest)